Il y a quelques semaines nous avons eu le privilège de visiter les ateliers de l’un de nos fournisseurs, les dentelles André Laude, à Caudry dans le département du Nord. Nous avons fait tout le circuit par lequel passe une dentelle avant d’être vendue. Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que le travail soit si colossal et minutieux! Mais avant de vous en dire davantage, faisons un point sur les origines de la dentelle de Calais-Caudry.

Il faut savoir que la dentelle de Calais-Caudry est originaire de Nottingham en Grande-Bretagne, ville où les métiers à tisser étaient fabriqués. Les premiers métiers importés d’Angleterre sont installés à Calais et à Caudry en 1820. Après la seconde guerre mondiale, le seul fabriquant des métiers à tisser a fermé et aujourd’hui seules les réparations permettent de faire survivre les machines et de continuer la fabrication de dentelle. A l’heure actuelle, la France possède 90% du parc mondial des métiers à tisser, concentré sur le pôle Calais-Caudry, seul détenteur du label « Dentelle de Calais-Caudry ».

Passons à la partie technique et tout ce qu’il faut savoir sur la dentelle. Tout d’abord une petite question : comment différenciez-vous la dentelle française labellisée « dentelle de Calais-Caudry » de la dentelle asiatique ?

Alors une idée ? Le toucher ? La qualité ? Hé bien non. Vous aurez la réponse en regardant la construction de la dentelle. En effet, la dentelle française est tissée, ce qui permet de découper des morceaux/motifs de la dentelle pour les incruster sur un autre tissu ensuite (ce que l’on appelle une incrustation dans notre jargon).

Les fils ne s’effilochent pas à l’inverse de la dentelle asiatique qui elle est tricotée. Donc si vous coupez un motif, tous les fils vont se détricoter et la dentelle va se défaire. Faites le test, vous verrez

Une fois cela dit vous allez me demander : quelles sont les étapes de création d’une dentelle ?

Notre visite débute par la toute première étape de création d’une dentelle : le bureau de dessin. Une équipe est en charge d’imaginer de nouveaux dessins (et dieu sait qu’il en existe déjà des milliers !) en fonction de la demande, de la faisabilité et des motifs déjà existants. Une fois l’esquisse faite, une première personne, la metteuse en carte, rapporte le dessin sur une feuille millimétrée de 1x1m en imitant le chemin que prendra le fil sur le métier à tisser. Une seconde personne numérise ces données (avant, l’ordinateur n’existant pas, le dessin partait directement dans les mains du tulliste pour régler le métier à tisser) qui sont ensuite retranscrites par des perforations sur cartons jacquard qui serviront à guider le métier à tisser. Cette étape s’appelle le perçage.

cartes perforees chez les dentelles laude

Nous quittons le bureau de dessin pour les hangars où sont situés les métiers à tisser. Oui vous avez bien lu, les métiers à tisser sont si massifs que lorsque les dentelliers font l’acquisition d’une nouvelle machine ils doivent casser le mur extérieur du hangar pour faire entrer le métier à tisser. L’espace est optimisé au mieux afin d’avoir le maximum de machines nécessaire à la production. En effet, chaque métier à tisser ne peut faire qu’un seul type de dentelle suivant l’épaisseur et la nature des fils utilisés (coton, soie, viscose, élasthanne, …).

Avant de pouvoir faire fonctionner le métier à tisser, un petit nombre d’étapes est nécessaire. Le bobineur prépare les bobines en y mettant le fil qui servira à tisser la dentelle. Chaque bobine contient 150m de fil en moyenne. A l’extrémités des fils il applique un colorant rouge afin que le tulliste sache à quel moment changer les bobines.

bobinage de la dentelle de calais laude

Les bobines passent ensuite à la presse puis elles sont mises au four pendant 1h30 pour éviter que le fil ne pousse les parois de la bobine. A la sortie du four les bobines sont récupérées par le remonteur qui a la mission d’assembler chaque bobine remplie de fil à un chariot en la bloquant grâce à un ressort qui contrôle la vitesse de rotation de la bobine. Il replace ensuite le fil dans le guidage du chariot pour que ce dernier soit fin prêt à être placé sur le métier à tisser. Il doit répéter cette manipulation 5500 fois, soit autant de fois qu’il y a de chariots sur un métier à tisser 224 pouces (5,60 mètres), afin de pouvoir débuter le tissage de la dentelle.

bobinage de chariot chez les dentelles laude

Le tulliste (en charge du métier à tisser et du tissage de la dentelle) récupère les bobines et chariots que lui a préparés le remonteur pour les installer sur le métier. En amont de cette étape, le tulliste a préparé le métier avec les rouleaux de fil qui tisseront le tulle (la base) de la dentelle. Une préparation qui peut durer jusqu’à 1 mois et demi à deux personnes ! On comprend aisément qu’il faut 4 à 5 années d’expérience pour apprendre le métier de tulliste afin de dompter la machine et produire des dentelles d’une telle qualité.

metier a tisser du dentellier laude

Une fois le métier prêt à démarrer, le tulliste place les cartons perforés issus du bureau de dessin. Les trous actionneront des tiges métalliques ce qui dessinera le motif voulu en même temps que la base en tulle grâce aux chariots qui effectuent des vas et vient continuels. Le tulliste veille au grain lorsque le métier est en marche car les chariots peuvent facilement se prendre dans un mauvais fil et faire dysfonctionner la machine. Il surveille également que la dentelle n’a pas d’imperfection.

dentelle laude sur son metier a tisser

Lorsque la dentelle est finie d’être tissée elle est passée aux cribles des visiteuses qui relèvent d’un coup de craie le moindre défaut. La raccommodeuse vient ensuite réparer à la main ces défauts, manques ou excès de matière qui dégradent le motif. Enfin, la touche finale est apportée par l’écailleuse qui découpe le bord de la dentelle (en forme d’écailles !) à la main pour en faire une œuvre d’art de bout en bout.

La dentelle « brute », de couleur blanc naturel qui est la couleur des fils sur le métier à tisser, est alors envoyée chez le teinturier pour lui donner la couleur définitive voulue par le dentellier en fonction de ses commandes. Là encore, de nombreuses étapes sont nécessaires pour aboutir au résultat souhaité. En premier lieu la dentelle est piquée, c’est-à-dire que les coupes de 5m x 90cms qui sortent des métiers à tisser sont cousues entre elles pour ne pas en perdre une en cours de route et toutes les teindre ensemble pour avoir un bain de teinture identique,

Etape du piquage

Avant d’être dégraphitée (= lavée) pendant 8h afin d’enlever toute trace de graisse et salissure laissée par le tulliste lors du tissage de la dentelle.

degraphitage de dentelle

Coupes de dentelle piquées en attente de dégraphitage

Elle est ensuite essorée à la main puis envoyée au préformage. La dentelle est mise sur ce que l’on appelle une rame puis chauffée à 210 degrés afin de lui donner sa dimension finale. En effet, si cette étape de préformage n’est pas faite, il est possible que certaines dentelles ressortent déformées avec toutes les étapes qu’elles subissent par la suite.

Arrive ensuite l’étape de teinture. D’énormes cuves verticales et horizontales de différentes tailles nous font face dans l’entrepôt. De quoi teindre des centaines et des centaines de mètres de dentelles sachant que la plus grande machine peut recevoir jusqu’à 100m de tissu. Ces machines teignent les tissus sous pression, il est donc strictement interdit de les ouvrir avant la fin du programme.

usine de teinture de dentelle

Cuves de teinture verticales et horizontales

La première étape de teinture à proprement dite est le blanchissement à l’eau de javel afin d’avoir une base blanche. Ensuite, grâce à une tuyauterie gérée par un système électronique moderne,

blanchiment de la dentelle

est envoyé suivant les doses prescrites par le laboratoire de recherches préparatoires pour avoir la couleur désirée par le client, un mélange de colorant, de sulfate pour fixer la couleur sur les fibres et de produit chimique pour empêcher la formation de mousse. La dentelle est en mouvement perpétuel comme dans une machine à laver pour que le colorant ne fasse pas de tâche et que la couleur soit uniforme. Il faut compter 8h de teinture pour une dentelle qui est constituée d’une seule fibre, 12 à 13h pour deux fibres, etc…, puisque chaque fibre nécessite son propre colorant.

teinture de dentelle

Dentelle en cours de teinture dans une cuve verticale

Une fois le cycle terminé la dentelle est essorée,

teinture couleur

dépiquée puis de nouveau insérée dans la rame pour le post-formage à 100-110 degrés afin de la sécher et de lui redonner les dimensions fixées lors du pré-formage. Après toutes ces étapes, ça y est, la dentelle est fin prête à habiller vêtement, sous-vêtement ou encore robe de mariée ! 😉

Métier à tisser – Musée de la dentelle, Caudry

Métier à tisser – Musée de la dentelle, Caudry

Ce qu’il faut savoir : les métiers à tisser sont réglés au papier à cigarette. Vous comprendrez donc que ces machines réglées au millimètre ne tolèrent pas beaucoup de dysfonctionnement et que les réparations peuvent prendre du temps.

Crédit photo : Cédric Eyma